Le cinéma français sort parfois un objet un peu rare : un film qui a l’air de venir “juste” divertir… mais qui glisse, au passage, une lame fine sous les côtes du réel. La Daronne, c’est exactement ça : une comédie policière qui s’amuse avec les codes du film de gangsters, tout en dressant le portrait d’une femme qu’on n’attendait pas à cet endroit-là. Et rien que cette idée — une anti-héroïne inattendue, qui prend la lumière en douce — mérite qu’on s’y attarde.
On pourrait résumer en une phrase : une interprète judiciaire, invisible dans son box d’écoutes, se retrouve à diriger un trafic. Mais ce serait rater l’essentiel. Le vrai sujet, ici, c’est la métamorphose. Et surtout : le plaisir insolent que le film prend à la mettre en scène.
Un point de départ très “gris”… et un basculement parfaitement immoral
Patience Portefeux, l’ombre qui écoute
Patience Portefeux est interprète judiciaire franco-arabe, spécialisée dans les écoutes pour les Stups. Son quotidien ? Traduire des conversations de trafiquants, encaisser la fatigue, et tenter de financer l’établissement de luxe où vit sa mère. Une vie qui s’use en silence : elle voit tout, comprend tout, mais n’existe jamais vraiment dans le cadre.
Ce qui est malin, c’est que le film installe cette grisaille sans lourdeur. On n’est pas dans le misérabilisme, plutôt dans une ironie sociale discrète : Patience est au contact direct du crime… mais reste coincée dans une mécanique administrative qui la rend invisible.
Le moment où tout bascule
L’étincelle arrive quand elle découvre qu’un des trafiquants est le fils de l’infirmière qui s’occupe de sa mère. Compassion, opportunité, instinct de survie : elle couvre le jeune homme, détourne des informations, puis glisse — presque naturellement — dans l’illégalité.
Et la voilà, grâce à son expertise des écoutes et à sa connaissance du terrain, en train de devenir une dealeuse aussi discrète qu’efficace, que les policiers eux-mêmes surnomment… “La Daronne”.
Ce qui fonctionne, c’est que le film ne cherche pas à la “rendre propre”. Patience n’est pas une sainte. C’est une femme qui comprend que les règles ne la protègent plus, alors elle change de jeu.
Isabelle Huppert : l’élégance froide qui rend l’anti-héroïne irrésistible
Une transformation sans surjeu
Le cœur battant du film, c’est Huppert. Elle réussit un truc délicat : passer d’une femme effacée (presque transparente) à une figure d’autorité… sans jamais forcer. Oui, il y a la panoplie, les accessoires, les petites stratégies d’apparition/disparition. Mais la vraie métamorphose est ailleurs : posture, assurance, débit, regard. Elle devient quelqu’un qu’on écoute.
Et c’est précisément ça, le fantasme secret du personnage : ne plus être ignorée.
L’humour noir, la nuance, et ce petit sourire qui pique
La performance est d’autant plus jubilatoire que le film joue sur une crête : tension policière d’un côté, absurdité de l’autre. Même au milieu d’une négociation, une réplique sèche, une situation presque grotesque, vient rappeler qu’on est aussi dans la comédie. Huppert gère ça avec une précision chirurgicale : elle ne cherche pas à “faire drôle”, elle est drôle parce qu’elle est sérieuse.
Il y a aussi une dimension très concrète, très incarnée, qui évite le folklore : la langue, les gestes, les micro-décisions. Rien n’est décoratif, tout sert le personnage.
Un polar qui refuse de choisir entre le rire et la tension
Un mélange des genres plutôt bien tenu
Le film n’est ni un pur thriller, ni une simple comédie. Il mélange :
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une enquête policière qui avance en parallèle,
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une comédie sociale sur la précarité et les petits arrangements,
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un drame familial (la mère, et ce poids affectif/financier),
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et une relecture du “mythe gangster”, version plus pragmatique.
C’est cette hybridité qui lui donne son énergie : tu ne sais jamais si la scène suivante va te tendre une corde (tension) ou te la couper net (humour).
Déglamouriser le crime, sans le nier
Là où beaucoup de polars finissent par fantasmer leur propre crime, La Daronne préfère le pragmatisme, parfois même le ridicule. Les dealers ne sont pas des figures mythologiques : ce sont des types qui improvisent, des rouages, des opportunistes, des gens qui gèrent un business comme ils peuvent.
Et au milieu, une femme de plus de cinquante ans qui pilote tout ça avec un calme quasi maternel : c’est à la fois drôle et politiquement parlant. Le film ne moralise pas. Il observe. Et il pointe, en passant, une société où l’ascenseur social est si grippé que l’illégalité finit par ressembler à une option “rationnelle”.
La mise en scène de Jean-Paul Salomé : sobre, efficace, centrée sur Patience
Une caméra collée au personnage
La réalisation reste volontairement lisible : pas d’esbroufe, pas d’effet de manche. La caméra suit Patience au plus près, adopte son point de vue, et te fait sentir le vertige de sa double vie. L’opposition entre milieux, décors, codes sociaux, s’installe naturellement : d’un côté la routine, de l’autre la tentation d’une liberté qui n’a rien de propre.
Un rythme qui évite les temps morts
Montage dynamique, alternance bien gérée entre vie privée, avancée de l’enquête, et séquences plus “business”. C’est propre, tendu quand il faut, léger quand il faut. Le film sait qu’il ne doit pas se prendre trop au sérieux pour rester piquant.
Ce que le film raconte vraiment, derrière le plaisir du récit
Une revanche sociale qui n’a rien d’héroïque
Patience Portefeux, c’est une figure d’émancipation… mais une émancipation sale, borderline, dérangeante. Et c’est précisément pour ça que ça marche. Elle n’est pas là pour “donner l’exemple”. Elle est là pour rappeler une vérité moins confortable : quand tu passes ta vie à être raisonnable et qu’on te laisse t’éteindre à petit feu, la transgression devient tentante.
Une anti-héroïne moderne, sans pancarte
Ce qui rend le personnage si contemporain, c’est que le film ne l’enferme pas dans une démonstration. Il la laisse exister avec ses contradictions : attachante et cynique, lucide et opportuniste, vulnérable et dangereuse. Il y a une vraie joie à voir une femme prendre le contrôle — même si c’est pour faire quelque chose de moralement discutable.
Et c’est là que La Daronne gagne : il divertit, il pique, il amuse, et il laisse dans la tête une question un peu gênante… mais honnête.
Si tu veux, je peux aussi te faire une version encore plus “critique ciné” (mise en scène, tonalité, comparaison avec d’autres anti-héroïnes, ce que ça dit du polar français), toujours dans ton ton, sans citations ni mentions parasites.

