Adapter un seul chapitre de Dracula en un long-métrage, c’est audacieux. Très audacieux même. Et sur le papier, l’idée est brillante : transformer le journal de bord du capitaine du Demeter en huis clos maritime, étouffant et sanglant, avec un vampire en passager clandestin. On rêvait d’un croisement entre Alien, The Thing et le roman gothique. Malheureusement, ce Dernier Voyage du Demeter largue les amarres avec panache… pour mieux sombrer dans les eaux tièdes d’un récit qui n’assume jamais vraiment son potentiel de terreur.
Une promesse qui sentait bon le bois mouillé et le sang frais
Ce film avait tout pour plaire aux amateurs d’horreur à l’ancienne : un vaisseau isolé, une menace tapie dans l’ombre, et une tragédie annoncée. Le chapitre 7 du Dracula de Stoker, c’est quelques pages énigmatiques, pleines de silences, de peur suggérée, de folie qui monte lentement à bord. L’adaptation aurait pu en faire un chef-d’œuvre de tension… mais à force de vouloir montrer, expliquer, meubler, on finit par affaiblir tout ce que le texte avait d’efficace : le mystère.
Le scénario se retrouve donc à broder autour de cette matière première ultra condensée. Il invente, rallonge, extrapole — mais sans jamais réussir à trouver le bon fil conducteur. Résultat : une histoire qui patine, des personnages génériques, et une créature qu’on découvre trop tôt, trop souvent, trop clairement.
Esthétique léchée, mais tension plate
Alors oui, visuellement, c’est plutôt réussi. Le navire, brumeux et grinçant, est très bien reconstitué. Les éclairages sont soignés, les plans larges sur la mer déchaînée sont souvent magnifiques, et l’ambiance a quelque chose d’un peu pictural, presque romantique.
Mais tout cela reste en surface. Car l’angoisse, la vraie, celle qui fait transpirer dans un fauteuil de cinéma, ne vient jamais. Le Demeter n’est pas ce labyrinthe oppressant qu’il aurait pu être. Le huis clos tourne à vide. Les scènes d’attaque manquent de souffle. Et la mise en scène, trop souvent confuse ou illustrative, peine à insuffler le moindre frisson durable.
Le monstre est là… mais il ne fait pas peur
C’est l’un des gros soucis du film : son Dracula. Ou plutôt son Nosferatu revisité. Il n’a rien du séducteur maléfique, ni de l’aristocrate tragique. C’est une créature purement bestiale, qui surgit de l’ombre pour croquer ses proies — un monstre de jeu vidéo, efficace mais sans âme. En soi, pourquoi pas. Sauf que cette version de Dracula passe à côté de toute la dualité du personnage. Où est le trouble ? La fascination ? Le malaise ambigu ? Ici, on a juste un croque-mitaine ailé. Et on en fait vite le tour.
Le spectateur, lui, connaît déjà l’issue. Il sait qu’il n’y aura pas de happy end. Le drame, c’est que le film ne parvient même pas à faire exister la peur malgré ça. On attend le naufrage, mais il n’a rien de saisissant. Juste une suite de scènes un peu molles, mal rythmées, ponctuées de sursauts attendus.
Des personnages sans consistance, dialogues en pilotage automatique
Difficile de s’attacher à l’équipage du Demeter. Le capitaine, le médecin, le mousse, la passagère clandestine… Tous cochent des cases, sans jamais dépasser le stade de la silhouette fonctionnelle. Et les dialogues n’aident pas : explicatifs, parfois lourdement appuyés, rarement inspirés. À force de vouloir tout dire, le film oublie que le silence peut aussi faire peur. Et surtout, il laisse peu d’espace aux acteurs pour respirer, pour incarner.
Le résultat, c’est un casting solide — mais sous-exploité. Les performances sont honnêtes, mais bridées. Et comme on ne croit pas vraiment aux personnages, leur sort nous touche peu. Ce qui, dans un survival horror, est quand même un petit souci…
Quand le scénario fait naufrage
Ajoutez à cela quelques incohérences bien gênantes (le monstre semble tour à tour invincible et vulnérable selon les besoins de l’intrigue, les décisions de l’équipage frisent parfois l’absurde), et vous obtenez un film qui s’effrite scène après scène. Jusqu’à un final… qui sent le teaser pour une suite. Une erreur. Car ce récit-là, ce voyage, méritait une fin noire, brutale, inexorable. Pas une porte entrouverte sur un éventuel Dracula Cinematic Universe.
Dracula mérite mieux
Ce Dernier Voyage du Demeter aurait pu être un détour fascinant dans l’univers du Comte. Un chapitre isolé, magnifiquement mis en scène, à la croisée des genres. Mais à force de trop vouloir étirer la matière, le film oublie que la peur, la vraie, se cache souvent dans les ellipses, les silences, les ombres. Ce qui n’est pas montré. Ce qui rôde.
Le projet était séduisant. Il reste une tentative honorable, visuellement soignée, mais profondément inaboutie. On en ressort avec une impression de gâchis : celle d’un navire qui avait tout pour devenir une légende du cinéma d’horreur, mais qui a raté sa traversée.

