Imagine un van un peu bringuebalant. Des costumes entassĂ©s entre deux trĂ©teaux. Une troupe qui rigole fort, mais qui doute tout autant. Des affiches collĂ©es en douce sur les murs dâAvignon. Et au milieu de cette joyeuse dĂ©brouille, un mec paumĂ© qui dit jouer Rodrigue, alors quâil sâapprĂȘte Ă interprĂ©ter⊠un rĂŽle dans une comĂ©die de boulevard.
VoilĂ le point de dĂ©part dâ« Avignon », le premier long mĂ©trage de Johann Dionnet, qui transforme un court rĂ©ussi (Je joue Rodrigue) en une chronique estivale drĂŽle, douce et un peu nostalgique. Câest lâhistoire de celles et ceux qui veulent faire du théùtre⊠mais qui doivent vendre leurs piĂšces comme on vendrait des crĂȘpes sur un marchĂ©. Et câest surtout une jolie dĂ©claration dâamour Ă lâart de jouer, malgrĂ© tout.
đŹ De quoi ça parle, au juste ?
Un mensonge de festival⊠et beaucoup de tendresse
Stéphane (interprété par un Baptiste Lecaplain touchant de sincérité) est un comédien qui galÚre. Il enchaßne les petits rÎles, les extra comme serveur, et se demande un peu à quoi tout ça rime. Alors quand son pote Serge (Lyes Salem, en metteur en scÚne volcanique) lui propose de rejouer un vieux rÎle dans une piÚce légÚre montée au Festival Off, il accepte. Direction Avignon, le théùtre, les tracts et les répétitions dans une maison louée avec piscine (pas trÚs propre, mais on fait avec).
Et puis, StĂ©phane croise Fanny, une ancienne connaissance, comĂ©dienne dans le prestigieux « Ruy Blas » du In. Elle le croit engagĂ© dans “Le Cid”, version classique. Il ne la corrige pas. Une petite omission⊠qui va tout compliquer.
đ Un hommage vibrant (et lucide) au Festival Off
LâAvignon quâon connaĂźt (ou quâon rĂȘve de connaĂźtre)
Dionnet ne triche pas. Il connaĂźt le terrain. On sent quâil a traĂźnĂ© ses baskets dans les ruelles Ă©crasĂ©es de chaleur, quâil a collĂ© des affiches Ă 2h du matin, quâil a tentĂ© de convaincre des passants dĂ©jĂ pressĂ©s de rejoindre un autre spectacle.
Le film restitue avec tendresse lâĂ©nergie bordĂ©lique du Off : le tractage, les parades dans les rues, les galĂšres de rĂ©gie, les plans foireux pour faire venir du monde. Et derriĂšre les rires, il y a cette petite tension quâon connaĂźt bien : le théùtre qui cherche sa place dans une ville qui dĂ©borde de propositions.
Théùtre noble ou boulevard rigolard ? Pourquoi choisir ?
La comĂ©die nâĂ©vite pas les vrais sujets. Ă commencer par la fracture entre deux théùtres : celui qui se revendique pur, exigeant, presque Ă©litiste⊠et celui du boulevard, plus populaire, plus “lĂ©ger”, souvent snobĂ©.
Le film pose la question sans juger. Il la met en scĂšne dans la relation mĂȘme entre StĂ©phane et Fanny. Lui fait semblant de jouer Rodrigue, elle incarne la noblesse romantique dâHugo. Une mise en abyme dĂ©licieuse, dâautant que Ruy Blas, comme le film, parle aussi de travestissement : un valet qui se fait passer pour un noble par amour. Tiens tiensâŠ
â€ïž Une romance pleine de tact (et dâhumour)
Elisa Erka, révélation lumineuse
Fanny, câest elle. Elisa Erka (aussi connue sous le nom Elisa Ruschke). Un jeu naturel, des regards francs, une voix qui oscille entre douceur et franchise. Elle donne Ă son personnage juste ce quâil faut dâintelligence et de mystĂšre, pour quâon ait envie dây croire. Et surtout : sa complicitĂ© avec Lecaplain fonctionne Ă merveille.
Entre eux, ça ne déborde jamais. Pas de scÚnes sirupeuses. Juste des petits gestes, des silences, des maladresses charmantes. Une scÚne partagée sur un trottoir, quelques mots échappés entre deux représentations⊠et nous voilà suspendus.
Le mensonge⊠pour (essayer de) séduire
Le quiproquo de dĂ©part (StĂ©phane fait croire quâil joue Rodrigue) aurait pu virer au gag. Mais Dionnet en fait un ressort poĂ©tique et subtil. Ce nâest pas une manipulation, juste une faiblesse. Un moment dâespoir un peu triste, un peu mignon. Ce genre de petit mensonge quâon fait quand on doute de soi.
Et au lieu de le punir, le film lâaccompagne. Comme un ami qui dirait : âOK, tâas fait une bĂȘtise⊠mais on va essayer dâen faire quelque chose de beau.â
đ Une troupe Ă la fois drĂŽle, paumĂ©e⊠et terriblement attachante
Des seconds rĂŽles qui volent (presque) la vedette
Le charme du film tient aussi à sa galerie de personnages secondaires, tous ultra bien écrits :
- Serge, le metteur en scĂšne tyrannique mais passionnĂ© (formidable Lyes Salem, entre explosion et fĂȘlure)
- Coralie, sa compagne et pilier de la troupe, jouée par une Alison Wheeler épatante de sobriété
- Pat, dragueur foireux mais cĆur tendre, incarnĂ© par le rĂ©alisateur Johann Dionnet lui-mĂȘme
- Lâapprenti rĂ©gisseur (Rudy Milstein), un peu Ă lâouest mais toujours volontaire
Un casting qui vient du théùtre, et ça se sent
Il y a dans les regards, dans les gestes, une maniĂšre dâoccuper lâespace quâon reconnaĂźt tout de suite. Ce sont des acteurs qui connaissent la scĂšne, et le film leur rend hommage. Pas besoin de surjouer. Ils sont lĂ , justes. Et on les suit comme on suivrait une bande de copains qui essaient juste de faire quelque chose de joli avec ce quâils ont.
đ On ne lâattendait pas⊠et pourtant, on lâadore
Un petit film⊠qui a tout dâun grand
Il y a des films qui hurlent leur originalitĂ©, qui secouent leur scĂ©nario comme un drapeau. Et puis il y a « Avignon », modeste, sincĂšre, prĂ©cis. Il ne cherche pas Ă Ă©pater, mais il touche. Il amuse, il serre le cĆur, il laisse un sourire.
Câest sans doute ce qui lui a valu trois prix au Festival de lâAlpe dâHuez :
đ Grand Prix du jury
đ Prix Coup de cĆur
đș Prix des abonnĂ©s Canal+
Une triple reconnaissance méritée, tant le film fait du bien sans cynisme, sans clichés, juste avec humanité.